Invention : en didactique, action de trouver
Création : Action de faire, d'organiser une chose qui n'existait pas.
L'évolution des contenus du cours d'éducation musicale a fait apparaître aux côtés d'activités réputées essentielles et fondamentales - chant, écoute, en liaison avec l'étude du langage - des activités présentées dans les programmes comme complémentaires des précédentes et permettant d'approfondir ou d'élargir le cours.
Les activités d'invention et de création, précisément apparues dans les programmes de l985 ont ainsi émergé sans que l'on sache trop comment les amener à partir du travail traditionnel ni quelles formes et contenus leur donner. Beaucoup de professeurs ont hésité à les introduire systématiquement dans le cours hebdomadaire, ayant le sentiment qu'il s'agissait là d'une activité supplémentaire hypothéquant une partie du précieux temps qui ne suffisait déjà pas à mener à bien l'essentiel.
L'expérience prudente au départ, puis la réflexion plus approfondie nous ont amené cependant à reconsidérer cette opinion : il ne s'agit pas d'une activité de plus dans le cours, mais bien plus simplement d'une démarche pédagogique étroitement liée aux apprentissages et vivifiant l'instinct musical.
Afin de dédramatiser tout de suite la question, nous proposons un schéma qui va permettre de mieux saisir l'imbrication des gestes pédagogiques du cours, et préciser quand et comment invention ou création y interviennent.
L'imprégnation préside à tout apprentissage : chant, écoute supposent, préalablement à toute exploitation savante, que les élèves soient "mis dans le bain" musical.
L'appropriation d'un élément du langage permet de le manipuler : par l'observation, l'identification, l'analyse, on peut le répéter, le déplacer, le transformer... bref, l'expérimenter.
L'assimilation des mots musicaux et la compréhension de leurs caractères (question, réponse...) permet d'en saisir l'organisation et d'en construire des variations.
L'invention (action de trouver) découle directement de l'intelligence du texte musical et ouvre à la découverte en mettant en oeuvre 1' imagination, l'inspiration.
La création invite à réaliser quelque chose qui n'existait pas encore : elle s'exprime par les verbes faire, produire, concevoir, inventer, imaginer, innover, bref, composer qui est en musique le stade le plus élaboré de cette création.
Mais il ne faut surtout pas oublier qu'elle s'exprime déjà par les verbes "faire" et "produire" qui confirment que pratiquer oeuvre, l'interpréter, c'est déjà effectuer un acte créateur.
Création et invention, de même qu'inventivité et imagination sont constamment irriguées des mêmes démarches et leurs limites sont bien subtiles pour tenter de les individualiser...
Les aptitudes individuelles s'expriment par l'inspiration (1e souffle créateur qui anime les artistes), qui s'oppose à ce qu'on obtient de façon besogneuse ou calculée : le champ est alors ouvert à l'improvisation par laquelle s'exprime la créativité, c'est à dire le pouvoir de création et d'invention, directement dépendant de l'imagination et de la fantaisie de l'artiste. Alors, c'est le tempérament et la personnalité de l'élève qui peuvent se révéler.
L'invention, c'est pas l'Amérique...
Jetez-vous à l'eau
Le principe essentiel réside dans l'appropriation du langage dès l'acquisition de celui-ci par le réinvestissement immédiat de ce qu'on vient de découvrir : des exercices simples, spontanés, menés par le professeur en dialogue avec la classe seront autant de manipulations destinées à ancrer les éléments de vocabulaire et de syntaxe.
Cette activité suppose bien sûr que le professeur développe une méthode et une discipline de travail collectif. Ses compétences de musicien et d'animateur sont mises à contribution pour gérer la dynamique du groupe et l'installer dans la musique de la manière la plus attrayante.
Le travail par imitation et en dialogue demeure toujours le sésame de la pratique musicale en classe, et la dimension orale est largement privilégiée au travail écrit.
- L'élève (ou la classe) choisit dans ce qu'il vient de jouer, ce qu'il préfère (une phrase rythmique ou mélodique), le rejoue, et éventuellement le recopie. La mémorisation (rejouer par coeur pour la semaine prochaine) permet de fixer les connaissances et les rend disponibles pour un réinvestissement ultérieur.
- L'élève (ou la classe) choisit un timbre pour colorier un rythme ou une mélodie, selon sa sensibilité et les matériaux sonores dont il dispose.
- Il(s) précise(nt) le caractère du morceau en variant et choisissant le tempo, les nuances et l'expression générale.
Toute manipulation suppose une acquisition sûre, ce qui implique qu'elle s'effectue dons la continuité de l'apprentissage, sinon il est indispensable de réviser préalablement.
- Un rythme connu (lu et mémorisé) peut donner lieu à l'invention de paroles ou onomatopées, à l'agencement de questions-réponses construites à partir de celui-ci, à la sensibilisation à la carrure par l'alternance du rythme refrain et de périodes variées ou improvisées de même longueur...
- Une mélodie ou une tournure - cellule dépourvue de rythme - peut s'agencer sous forme de question-réponse, se combiner à un rythme étudié pour donner une phrase simple (ouvert-clos, antécédent-conséquent), se transposer sur un autre degré de l'échelle, susciter oralement ou par écrit des variantes. La combinaison d'une tournure mélodique et d'un mot rythmique permet d'obtenir un mot musical, point de départ de l'idée musicale ou thème.
Le travail de variation en modifiant le rythme d'une mélodie (en accord avec les paroles d'un nouveau couplet d'une chanson par exemple), ou en modifiant les notes de la mélodie en respectant rigoureusement le rythme permet aux élèves de prendre conscience des différents paramètres de la construction mélodique et d'aboutir à une production originale et personnelle.
- L'accompagnement ou l'habillage d'une phrase rythmique ou mélodique) peut donner lieu à la recherche d'un ostinato, à l'installation de bourdons, à des formules simples s'appuyant sur l'alternance tonique-dominante, à une mise en canon... La notion d'orchestration se développe par le jeu en dialogue des différentes périodes d'une phrase en alternant soli et tutti et en utilisant les instruments de la classe (flûtes, piano, percussions, claviers synthétiseurs, instruments des élèves).
La construction formelle peut être abordée par 1'agencement des phrases du morceau initial et là (ou les) nouvelle(s) phrase(s) inventées en ABA ou encore en forme rondo.
Ne perdez pas pied !
C'est à partir d'une maîtrise suffisante du langage musical (lecture, formation de l'oreille, culture par l'écoute) que des exercices spécifiques de création peuvent être conçus.
S'appuyant sur les habitudes prises en 6e et 5e, ils donneront une place plus importante à l'écrit et à la recherche personnelle (au moyen de devoirs) sans pour autant éclipser l'activité collective qui demeure fondamentale.
L'observation et la réflexion à partir d'un texte de référence (un morceau de flûte, une chanson, une oeuvre écoutée) étudié préalablement, en sont les fondements tandis que l'exécution vocale et instrumentale laisse libre cours à l'instinct et au savoir-faire tout en contrôlant musicalement la création. Le travail écrit, plus important qu'avant, conduit ou fixe la recherche, stimule l'imagination, et permet une analyse critique du résultat.
En partant toujours du modèle étudié (texte de référence), un problème de création ou d'invention est posé (ou une idée créatrice proposée) que l'élève devra résoudre ou conduire, et souvent développer autour d'un centre d'intérêt (procédé d'écriture musicale, forme, type d'habillage sonore, respect de la prosodie...).
L'exercice très structuré, doit fortement induire le résultat en évitant les fausses-routes et digressions hasardeuses. Préparé collectivement en classe, dans sa version la plus contraignante (ce qui permet aux élèves de le "comprendre"), le professeur en assouplit un ou quelques paramètres pour ouvrir davantage le champ des possibilités et permettre une expression plus individualisée des élèves, qui peut s'exprimer dans un travail écrit ou une exécution.
Ainsi, par ajouts d'exercices simples, on peut parvenir à des inventions déjà plus substantielles.
En combinant un mot rythmique (éventuellement suggéré par une prosodie) et une cellule mélodique de son choix, l'élève construit un mot musical qu'il organise en phrase selon le procédé de l'ouvert et du clos.
Il en assure l'habillage ou orchestration au moyen des possibilités dont il dispose (instruments mélodiques de la classe, percussions y compris mains et genoux...).
Il en conçoit l'accompagnement par l'usage d'ostinatos ou de formules IV-V-I, en dessine une grille harmonique embryonnaire s'appuyant sur ces degrés.
L'articulation de cette phrase avec une autre (de son choix ou préexistante) installe la forme (question-réponse, refrain-couplet, rondo, canon...).
Toutes les découvertes menant à l'intelligence des oeuvres étudiées peuvent donner lieu à invention et création :
- le concerto stimule le dialogue solo-tutti ;
- la fugue enrichit le canon par la transposition du sujet ;
- le rock s'articule sur la grille harmonique propice à l'improvisation ;
- les musiques actuelles les utilisent fréquemment des ostinati exacerbés par une prolifération de timbres synthétiques...