Lorsque, en 1882 Jules Ferry créa l'école obligatoire, l'horizon de vie de nos ancêtres se limitait en général au canton. Aujourd'hui, c'est le monde.
Brassage des populations, voyages, médias et cybernétique offrent de nos jours une connaissance de la planète de plus en plus familière, dans le temps comme dans l'espace.
La musique aussi profite de ce bouillonnement et cette extraordinaire diversité séduit les professeurs. Par le renouvellement pédagogique qu'elle laisse espérer, elle leur donne envie d'entreprendre et de goûter à tout. Porteur d'enthousiasme, cet esprit d'aventure peut devenir parfois chemin aventureux. L'attrait ressenti pour une musique lointaine, un instrument inconnu ou les sons inouïs nés d'une manipulation informatique, sera vite émoussé si ces activités d'un jour ne s'organisent pas dans le programme d'une année.
Comme la dispersion apporte la confusion,
l'abondance des pistes conduit à l'errance pédagogique.
Pour recentrer l'enseignement sur l'essentiel, un terme s'impose de nouveau dans le jargon éducatif : les fondamentaux.
Ce qui est fondamental dans chaque discipline, c'est l'apprentissage de savoirs clairement définis et de techniques élémentaires maîtrisées, communs aux élèves d'un même niveau ; c'est la répétition nécessaire et rassurante d'activités ciblées et formatrices pour s'outiller face au monde.
Et sur ces bases stables se forgent progressivement la personnalité, la capacité de faire, de comparer, de chercher, de s'étonner et de comprendre. Puis de situer peu à peu chaque livre qu'on lit, chaque peinture qu'on voit, chaque musique que l'on entend, chaque homme que l'on rencontre dans le grand livre du Monde.
En privilégiant l'acquisition d'un savoir sûr,
on prépare l'accès à des savoirs illimités.
L'équipe Musicollège.
L'éducation musicale s'est développée selon des orientations profondément marquées par ses conditions d'exercice :
- une classe complète bénéficiant d'une heure hebdomadaire,
- un enseignement obligatoire de la sixième à la troisième,
- un professeur spécialisé - souvent seul dans l'établissement - pour assumer l'existence de cette discipline et de ses prolongements : chorale, ensemble instrumental.
Une discipline forgée par le terrain
Ce sont ces conditions strictes d'exercice qui ont forgé "l'éducation musicale" qui n'est pas seulement "la musique". Autant l'enseignement spécialisé des écoles de musique peut afficher des objectifs spécifiques, des systèmes sélectifs, autant l'éducation musicale se doit de s'adresser à tous les élèves d'une tranche d'âge, aussi bien en milieu urbain que rural.
Cette offre ambitieuse n'a probablement pas toujours rencontré les meilleures conditions pour s'affirmer pleinement, notamment dans les établissements difficiles. Les disparités culturelles et sociales se sont combinées aux déficits des moyens pour rendre la tâche plus ingrate, plus complexe dans un contexte de massification. Et bien des professeurs ont cherché à y répondre par des expériences, des innovations, des méthodes ou des pratiques susceptibles de séduire davantage les élèves pour mieux les faire adhérer. Avec cependant au bout du parcours, une vérité incontournable : toute acquisition suppose de la part de l'élève un désir d'apprendre et la volonté de travailler.
Des pratiques en constante évolution
Ainsi, d'un enseignement s'appuyant exclusivement sur la voix (solfège chanté) et l'audition d'oeuvres classiques des grands maîtres, l'éducation musicale a intégré des pratiques instrumentales, des activités de création, un brassage et une ouverture culturels englobant toutes les musiques, des populaires aux plus savantes, des musiques anciennes à celles d'avant-garde, y compris les musiques de "consommation courante", souvent réclamées par les élèves et nécessaires pour établir une relation positive avec certaines classes.
L'intégration de l'outil informatique, complément des "technologies nouvelles", en est la plus récente évolution.
A un moment où jamais l'éducation musicale n'a été autant reconnue (tous les collèges possèdent des salles spécialisées, équipées d'un matériel de base qui aurait fait rêver les jeunes professeurs des années 70, et abritent des chorales nombreuses et actives), mais aussi où l'autonomie des établissements et la décentralisation risquent d'induire des évolutions nouvelles pour cette discipline, il n'est pas inutile de réfléchir sur les "fondamentaux de l'éducation musicale", pratiques et contenus incontournables sans lesquels l'éducation musicale rencontrerait à coup sûr des problèmes existentiels...
Chanter, écouter, jouer et inventer constituent
les grands pôles d'activités musicales au collège (1).
Enoncés dans la première ligne des programmes de 6ème, ces fondamentaux définissent bien les activités pratiques d'interprétation, d'écoute et de création en donnant aux élèves les indispensables notions pour pouvoir agir musicalement, se situer dans une pratique collective, y exprimer sa propre sensibilité tout en respectant celle des autres.
La multiplication des champs d'activité (voix, flûte, percussions, nouvelles technologies et vidéo associée à l'écoute...) risque de conduire à un éparpillement des énergies. En voulant tout aborder on court le risque de ne rien construire. Il est indispensable de réaliser en premier lieu les 8 chants exigés par les programmes, les 6 oeuvres de référence ainsi que les auditions complémentaires.
Organiser les diverses activités dans une progression rigoureuse fera gagner beaucoup de temps.
CHANTER
L'acquisition de répertoire ne saurait répondre à elle seule à la formation vocale.
Les programmes, dans le paragraphe Appropriation d'un chant, précisent bien les techniques d'apprentissage, mais aussi les prolongements que constituent les jeux vocaux et l'invention.
Toute activité vocale constructrice suppose régularité (il y a du chant à chaque cours), progression, mais aussi plaisir musical partagé par l'aboutissement à une production de fin de cours ou de séquence gratifiante et musicalement crédible.
Les ressources d'accompagnateur du professeur
et les accompagnements orchestraux
sont déterminants pour aboutir au bonheur
d'une production vocale accomplie.
ECOUTER
L'activité d'écoute est porteuse d'un enjeu majeur aujourd'hui : donner une culture musicale à des élèves souvent influencés par un seul type de musique dispensée par tous les médias.
L'ouverture culturelle est proportionnelle à la quantité et à la diversité des écoutes. Six oeuvres multipliées par les quatre années du collège seraient insuffisantes pour donner les bases d'un repérage culturel. Mais, en agrégeant à chacune trois brefs extraits d'oeuvres diverses, on aboutit, au terme des quatre années du collège, à... 96 oeuvres ! Voilà qui change tout et donne aux élèves un fonds musical sur lequel ils pourront, devenus adultes, construire leur propre culture.
La maîtrise progressive des éléments du langage musical s'organise à partir
d'une pratique active où le support instrumental peut trouver sa place.
JOUER
L'évolution de l'éducation musicale a démontré la place que pouvait avoir une pratique instrumentale initiatrice et non technicienne. Néanmoins, les exigences techniques propres à chaque domaine impliquent là aussi une organisation de progressions rigoureuses, d'exigences raisonnables, et surtout un résultat sonore musical satisfaisant pour les élèves.
Pour la flûte à bec, cela suppose une réflexion inscrite dans la logique des progressions digitale et musicale simultanées.
Pour les percussions, la pratique doit relever d'une véritable connaissance des instruments et du respect de leur mode de jeu. Une exploration informelle d'effets sonores éphémères ne peut constituer une activité pédagogique constructive.
Les technologies nouvelles, perçues par les programmes comme une activité instrumentale, investissent progressivement le cours : le chant (par les accompagnements en fichier midi), mais aussi l'écoute par des logiciels adaptés à la visualisation des phénomènes sonores.
Paradoxalement, la pratique instrumentale n'est pas concernée par ces moyens (mis à part des activités d'atelier liées à la Musique Assistée par
Ordinateur), le cours en "salle réseau" ne répondant pas à la régularité hebdomadaire et relevant essentiellement de l'atelier.
Appréciée des élèves, la pratique instrumentale conforte l'éducation musicale ;
son utilisation aventureuse la ruine.
INVENTER
Inventer, c'est effectuer la preuve par neuf
que l'apprentissage est bien assimilé.
Non pas activité supplémentaire, mais fortement intégrée aux démarches d'acquisition, l'invention s'appuie sur l'utilisation et la transformation de ce qui a été assimilé.
L'outil informatique permet bien des manipulations. Permet - il d'aborder la création ? Les logiciels et séquenceurs sont autant d'outils performants quand le manipulateur est suffisamment... musicien ! Dans les mains du béotien, le résultat ne pourra toujours qu'être maladroit, peu musical et à terme décourageant si les bases même de la compréhension de l'organisation du langage musical ne sont pas acquises. Il faut bien faire la différence entre la construction d'effets sonores, pouvant évoquer plus ou moins certaines recherches de la musique contemporaine des cinquante dernières années, et la réelle appropriation d'un langage musical large, ouvert, avec des composantes mélodiques, rythmiques, harmoniques, formelles et orchestrales (ou timbrales) authentiques. L'immense majorité de la musique jouée et entendue relève de ce dernier.
N'oublions pas les lignes de force qui ont permis à l'éducation musicale de remplir jusqu'à présent ses missions. Ces "fondamentaux" réaffirmés pour l'enseignement général existent de façon tout aussi impérieuse au sein de cette discipline.