L'image de l'éducation musicale est fortement marquée par l'utilisation collective de la flûte à bec dans les cours.
Cet "instrument scolaire", présent dans une majorité d'établissements, n'est pas toujours perçu de façon très positive et son usage collectif est parfois fortement déconsidéré aux yeux des spécialistes de la flûte. Les professeurs d'éducation musicale peuvent se sentir démunis pour mener convenablement une pratique collective d'autant plus délicate que le comportement des élèves et leurs représentations musicales ne semblent pas la favoriser.
Si bien que les responsables de l'éducation musicale se demandent si, finalement, l'usage de la flûte à bec en classe ne serait pas davantage un handicap qu'une aide.
Avant de remettre en cause des pratiques familières à une majorité de professeurs, il nous semble utile d'apporter quelques éléments de réflexion sur cette question fondamentale.
L'observation permet d'établir précisément que parmi ceux qui utilisent la flûte :
- de nombreux professeurs réussissent à conduire un enseignement musical et gratifiant pour les élèves en utilisant la flûte à bec jusque dans les classes de troisième.
Les ensembles instrumentaux témoignent de l'intérêt des élèves et de leur adhésion à un instrument jugé, parfois un peu trop vite, obsolète.
Ces bons professeurs ne limitent pas leurs pratiques pédagogiques à la flûte et maîtrisent l'ensemble de leur enseignement.
Ils savent notamment conduire et corriger la pratique collective de leurs classes, aussi bien vocalement qu'instrumentalement.
- d'autres "font de la flûte en classe" par empirisme (quand ils étaient au collège, on en faisait déjà !), par obligation ("la collègue" utilise la flûte, alors je suis "obligé(e)" d'en faire...), ou sans savoir pourquoi (pour "occuper" les élèves...). Dans ces cas, la réussite est rarement au rendez-vous. Et l'on constate aussi la même absence de réflexion pédagogique dans les autres activités : routine, incompréhension des programmes, tiédeur vis à vis du métier...
- enfin, certains - heureusement de plus en plus rares - réduisent le cours à la seule pratique de la flûte (on ne chante pas, on n'écoute pas...). Lecture solfégique et rabâchage sans intelligence musicale dégoûtent les élèves d'une musique qu'ils n'ont d'ailleurs jamais rencontrée.
La réussite est liée à la pertinence pédagogique et aux compétences musicales du professeur, vous l'avez compris. Et avec la flûte, ce n'est pas plus facile, contrairement à ce que l'on pouvait croire dans les années 70 !
Mais considérer la flûte comme un handicap pour l'éducation musicale serait une erreur de jugement tout aussi préjudiciable. De nombreux professeurs réussissent très bien avec la flûte à bec et seraient gravement déstabilisés dans leur métier si, d'aventure, on venait à les contraindre de s'en priver.
Et avant "d'interdire", il aurait déjà fallu cadrer son usage depuis son apparition à la fin des années 60. Or, seuls les programmes de 1995 donnent une légitimité à la pratique instrumentale qui était simplement ignorée jusque là. Et les professeurs ont eu beaucoup de mérite à innover et évoluer dans ce domaine sans un minimum de directives...
Toutes les conditions exposées ci-dessous sont impératives et on ne peut faire l'économie d'une seule :
1. Que les professeurs qui l'utilisent en aient une connaissance technique élémentaire.
Point n'est besoin d'avoir étudié longuement la flûte en conservatoire (encore que cela ne nuirait pas, bien au contraire), mais au moins avoir une maîtrise instrumentale suffisante pour jouer avec musicalité et transmettre à la classe par l'exemple :
un phrasé lié à une articulation cohérente,
une justesse liée à la conscience du timbre,
une aisance liée à une digitalité soucieuse des bons doigtés et d'une bonne tenue de l'instrument.
2. Que les textes abordés en cours s'enchaînent dans une progression musicale rigoureuse.
Pas seulement une progression de doigtés réaliste (faut-il commencer par le si ou le mi aigu ?) mais une réelle progression musicale incluant la compréhension du langage (aussi bien par sa structure rythmique que mélodique ou formelle) et sa restitution dans le respect de la dynamique (articulation, nuances) et du style.
3. Que l'on joue à la flûte ce qui a musicalement du sens sur cet instrument.
Un thème de symphonie est souvent inabordable techniquement et ne peut que souffrir d'une adaptation réductrice (le Dolmetsch Consort a jadis transcrit une ouverture de Wagner pour ensemble de flûtes à bec... dans le cadre d'un festival Hoffnung du rire !).
La mélodie d'une chanson perd souvent son intérêt dans une version de flûte inadaptée. Sans pour autant s'en tenir au seul répertoire historique de la flûte à bec (danses de la Renaissance, pièces baroques simples...) ni l'ignorer, il convient de savoir choisir ce qui est abordable par les élèves dans un niveau considéré, tout en privilégiant l'intérêt musical lié aux styles que l'on sera capable de restituer par le jeu de la classe et l'accompagnement approprié.
Fi des intégrismes ! La flûte à bec peut jouer aussi bien jazzy que traditionnel, baroque que contemporain. Le tout est d'être suffisamment musicien pour situer les limites... du ridicule.
4. Que l'on se donne les moyens de réussir.
- imposer un choix d'instrument pour un résultat sonore acceptable (flûte à bec à doigté baroque, exigence de qualité de fabrication pour éviter la flûte de supermarché au timbre dévastateur),
- donner un minimum de formation technique aux élèves (tenue, bons doigtés, travail des enchaînements digitaux, de l'articulation, du phrasé et du timbre...) tout en menant un enseignement collectif ;
- contrôler individuellementles progrès, prendre en compte l'hétérogénéité et diversifier les pratiques en fonction des compétences...
Tout cela représente des contraintes incontournables si on veut mener à bien cette pratique.
Sinon, mieux vaut s'abstenir.
Dans cet ordre d'idée, l'apprentissage trop précoce de la flûte à l'école élémentaire n'attire que des ennuis (mauvaises flûtes conservées en 6e, défauts acquis irrattrapables) et mérite d'être dénoncé dans le cadre des liaisons Ecole-Collège.
Au-delà de la flûte, c'est en fait toute la question des pratiques instrumentales collectives qui se pose.
Y a t'il vraiment la place dans le cours pour cette activité "chronophage", comme on se plaît à le dire aujourd'hui ? La réponse engendre aussitôt d'autres questions peut-on mener un enseignement musical attrayant sans aborder, même modestement, une pratique instrumentale ? Le chant pourrait-il favoriser seul cette ouverture musicale que nous voulons donner à tous les élèves ? L'histoire de notre discipline prouve que non, et l'intrusion incontrôlée de la flûte répondait à ce besoin de concrétiser l'étude du langage musical par une pratique instrumentale. Peu nombreux sont les musiciens uniquement chanteurs, et leurs limites musicales apparaissent vite.
L'instrument attire, séduit, et fait prendre conscience
de notions qui, vocalement, demeureraient trop abstraites.
Aujourd'hui, les pratiques ont tendances à se diversifier : percussions, nouvelles technologies complètent ou supplantent le jeu à la flûte.
Dans tous les cas, on ne peut faire l'économie d'une réflexion
didactique approfondie
et de l'élaboration de progressions rigoureuses et cohérentes.
La flûte à bec reste néanmoins un instrument abordable et adapté à l'éducation musicale.
Par sa petite taille, son moindre coût et la facilité de la faire acquérir par les élèves, elle permet une pratique personnelle en dehors du cours.
Sa simplicité d'émission et ses qualités sonores (car une classe qui joue bien, ne serait-ce qu'à l'unisson, c'est aussi musical qu'une classe d'orchestre) autorisent la constitution d'ensembles associant les autres instruments de la famille (alto, ténor, basse) et l'ouverture sur des répertoires diversifiés (musiques traditionnelles, musiques des Andes ou des îles, oeuvres originales de Britten, Hindemith, Tansman, etc...).
Là où l'on a su mener une formation efficace des professeurs pour l'utilisation de la flûte à bec, les résultats sont satisfaisants aussi bien en ruralité qu'en ZEP ou en collège de centre ville. Ce qui ne veut pas dire que les professeurs n'y rencontrent pas de difficulté. Il ne faut pas confondre ce qui relève de la maîtrise d'un enseignement disciplinaire et ce qui est conditionné par le fonctionnement - ou les dysfonctionnements - d'un établissement. Quand les élèves ne respectent plus rien dans un collège, il n'y a aucune raison pour qu'ils fassent des efforts pour jouer de la flûte. Encore que... ! Mais le débat déborderait du cadre strictement didactique auquel nous souhaitons nous tenir.
"Si tu ne joues pas régulièrement de la flûte, la flûte se jouera de toi" disait Jean HENRY, fervent prosélyte de la flûte à bec dans les années soixante.
Continuité, régularité et progression cohérente
sont les règles pour réussir toute activité instrumentale,
que ce soit en flûte, en clavier ou en percussion. Toute appropriation nécessite effort et travail. Et de cela naît la satisfaction et le plaisir musical d'autant plus grands qu'ils représentent pour l'élève une conquête sur lui-même.
Grâce à la flûte à bec, beaucoup d'élèves ont découvert
ce que leur milieu social n'aurait jamais pu leur fournir :
un accès à la musique.
Nombre d'entre eux ont d'ailleurs prolongé cette initiation instrumentale par l'étude d'un instrument en école de musique. Que les professeurs qui en sont convaincus persévèrent en toute sérénité : ils ont là le moyen de forger l'enthousiasme des jeunes de tous bords et de les intéresser à la musique. Que ceux qui pensent que d'autres voies sont préférables s'y investissent et communiquent leurs trouvailles. Mais surtout, que chacun éprouve pour son métier la satisfaction du travail bien fait et du devoir accompli. Les élèves en tireront toujours quelque chose...
En s'imposant sans avoir été imposée, la flûte à bec a démontré
que toute initiation musicale nécessite une expérimentation instrumentale.